Le temps s’est arrêté. Immortelle n’a pas eu l’occasion de respirer librement depuis longtemps. Depuis sa rencontre avec l’autre immaculée, sûrement. Son souffle a manqué, plus d’une fois. Les plaies sont plus rares, désormais. Les anciens taisent leurs aigreurs d’estomac. Ils passent sous silence leurs épopées exagérées. A-t-elle commis un impair ? S’est-elle montrée désagréable de quelques façons ? Il n’y a que le silence pour lui répondre.
La pénombre s’engouffre dans la brèche. Elle se propage, muette comme les morts qui ne parviennent à faire entendre leur chant lyrique. Même les étoiles sont endormies. Le crépuscule fait danser ses flammes acérées dans les cieux qui se teintent de toutes les nuances carminées, puis violacées. Il n’y qu’Immortelle qui ne change pas.
Les jours passent.
Les semaines s’envolent.
Les années s’engrènent.
Parfois, la sourde impression de n’être redevenue que cette enfant perdue persiste. Elle s’accroche à sa poitrine, menaçant de la faire sombrer. Puis, lorsque le soleil s’éternise, son corps s’affaisse pour devenir celui d’une très vieille louve abîmée par les décennies. Par les siècles.
Presque comme si, influencée par les étoiles, Immortelle rajeunissait avec elles et vieillissait aussitôt. D’un soupir, la Guérisseuse transmet son ennui à qui veut l’entendre. Bien qu’il n’y ait personne. Bien que sa solitude lui pèse, plus encore qu’autrefois.
« Quiconque a connu la compagnie rafraîchissante de ses congénères n’en souffre que davantage de retrouver son obscurité… »
Lorsque ses iris rencontrent l’immensité de l’Éther, les questions s’imposent. Quand le jour finira-t-il ? Quand le recommencement cessera-t-il ? Quand la vie prendra-t-elle fin ?
De loin, les lueurs tournoient dans les cieux clairsemés. Les derniers rayons incendiaires répandent leur flot brûlant sur les enfants mortels qui se plaignent. Ils ne savent faire que ça, au fond. Susurrer des requêtes qu’ils adressent à quiconque veut les entendre. Chuchoter des prières sans connaître les dieux auxquels elles sont destinées. Et, finalement, renoncer. Ils comprennent trop tard que leurs demandes ne seront pas exaucées. Ils perdent foi, une énième fois. Immortelle a arrêté de croire, il y a longtemps déjà. Mais, avec l’énergie du désespoir, son cœur se raccroche à cette possibilité d’être entendue par l’une des créatures du-dessus. Parce que, dans son égoïsme et son arrogance, tous espèrent être l’unique individu qui saura gagner sa place au Paradis, tout en repoussant l’échéance indéfiniment.
Errance hasardeuse. La voix caressante des eaux qui clapotent l’extirpe finalement de ses songes troublés. Ses pensées dérivent vers son Alpha. Les astres s’alarment, comme à chaque fois. L’austérité rampe sur son âme enfantine, ravivant cette sensation éprouvée lorsque les prédictions des trépas de ses aimés se sont insinuées dans son crâne blême. Immortelle comprend.
Elle saisit avec amertume que ce bonheur n’a été que chimères éphémères, et que l’au-delà se rie de leurs envies. Aérienne, la môme des astres se déplace sans entrain.
Son corps délicat se fraie un chemin irrégulier vers on-ne-sait quelle destination. Du moment que le cours de ce temps est dévié, l’endroit où elle va échouer lui importe peu. Du moment que ça lui permet d’oublier, si peu de temps certes, ses propres tourments s’éloignent enfin.
Puis, il y eu un son.
Un éclat dans la nuit revigorante. Un désespoir qui sonne vide, un peu comme son propre chant qui n’a plus de paroles depuis longtemps. Un appel qui apparaît, à son cœur rongé par la démence, semblable à un salut éminent.
A cet instant, il n’y a rien qui l’obsède davantage que la solitude. Rien de plus que sa peur de la pénombre, depuis que les siens s’y engouffrent avec la ferveur de l’enfant qui se hâte de découvrir sa nouvelle demeure.
Qui qu’il soit, Immortelle se dépêche de rencontrer l’être indolent qui tue la nuit de ses cris trop tristes. Ses membres sont douloureux. Sa chair est lacérée. Sa fourrure est arrachée.
Peu importe.
Peu importe, du moment que la liberté l’ébranle.
« Profite du temps qu’il te reste. » Qu’elles s’agacent, du haut de leur pan de velours sombre.
« Profite du temps qu’il te reste. » Les larmes s’écrasent sur ses joues blafardes. Une de ces crises. Une de ces inquiétudes qui la maintiennent éveillée, juste par peur de voir les mots des étoiles être exaucés.
Qu’ils disparaissent. Qu’ils meurent. Tous destinés à s’éteindre. Et elle, au milieu de ce capharnaüm de pleurs insidieux ?
Le souffle saccadé, l’immensité des cieux rencontre un lac couleur d’encre, à cette heure avancée. Le monde s’est arrêté de tourner, à l’instant où son palpitant malmené a cessé de battre. Une vision dérangeante s’impose à son regard. Une silhouette qu’elle pense voir est postée là, assise et altière sur un morceau de rocher qui paraît s’être taillé pour lui faire une place. Là, comme s’il avait toujours fait parti de ce paysage digne du plus bel Eden.
S’ébrouant un peu, Immortelle s’approche jusqu’à atteindre la berge sèche. Ils sont là, face à face. Ils sont là, issus de deux mondes différents. Là, les opposés qui s’attirent. Et, là, les deux tourmentés qui appellent quelqu’un qui brille par son absence. Bien sûr, ses iris ne perçoivent rien. Presque comme s’ils étaient morts. Comme si, celui qui était ici, ne voulait pas être vu.
« Ah… Douces déceptions. J’étais persuadée qu’une âme rôdait dans les environs. Mon imagination me jouerait-elle des tours ? »
La louve embrasse les environs de son regard améthyste, armée de son sourire fade. Il est de retour, plus pincé qu’à l’accoutumée. Cet éclat commence à lui coûter.
« Cette nuit s’annonce magnifique… »